
Peut‑on clôturer sa propriété malgré l’existence d’un droit de passage ?
1. Rappel : qu’est‑ce qu’un droit de passage ?
- Qualification : Le « droit de passage » est une servitude discontinue et non apparente (article 686 C. civ.) créée soit par accord amiable (convention), soit par décision judiciaire (servitude légale d’enclave, art. 682 C. civ.).
- Fonds dominant / servient : Le fonds dominant bénéficie du passage ; le fonds servient en supporte la charge, sans perdre la propriété de la bande de terrain grevée.
- Caractère réel : Le droit suit le terrain (art. 637 C. civ.) et non la personne ; il est perpétuel sauf extinction ou modification.
2. Droit de clore son héritage : un principe général
L’article 647 du Code civil confère à tout propriétaire « le droit de clore son héritage » à ses frais. Ce principe est reconnu par une jurisprudence constante (Cass. 3ᵉ civ., 20 mai 2009, n° 08‑14. 206). Toutefois, ce droit n’est pas absolu ; il doit composer avec les charges réelles comme les servitudes.
3. Comment concilier clôture et servitude ?
Le Code civil ne s’oppose pas à la clôture d’un fonds grevé, mais impose le respect de deux exigences :
- Maintien de l’usage de la servitude (art. 701 C. civ.) : le passage doit rester praticable dans les conditions initialement convenues ou judiciairement fixées.
- Absence d’aggravation de la servitude (art. 702 C. civ.) : le propriétaire servient ne peut ni déplacer la servitude ni en compliquer l’exercice sans l’accord du dominant.
a) Libre exercice de la servitude
- Article 701 C. civ. : « Le propriétaire du fonds servient ne peut rien faire qui tende à diminuer l’usage de la servitude (…) ou qui rende son exercice plus incommode. »
- Illustrations jurisprudentielles :
- Cass. 3ᵉ civ., 6 déc. 2005, n° 04‑18.444 : l’installation d’un portail verrouillé sans remise de clé est illicite.
- Cass. 3ᵉ civ., 9 juin 2021, n° 20‑14.596 : un portail électrique est licite si le destinataire dispose d’un moyen d’accès permanent (bip, digicode).
b) Interdiction d’aggraver la servitude
- Article 702 : « Si l’engagement de la servitude vient à n’être plus suffisant à cause d’aggravations survenues (…) les intéressés s’adresseront au tribunal qui pourra, suivant les circonstances, soit la restreindre, soit même l’éteindre. »
- En pratique : rétrécir l’emprise à moins de 3 m pour un passage agricole, imposer des manœuvres dangereuses, changer la nature du sol (ornières, gravier instable)…
4. Quelles clôtures sont admises ?
Type de clôture | Conditions de conformité | Risques juridiques |
---|---|---|
Portail battant ou coulissant | Doit avoir une largeur au moins égale à la servitude et s’ouvrir sans effort. Une clé, badge ou code doit être fourni gratuitement. | Risque : trouble à l’usage -> demande judiciaire de dépose. |
Barrière agricole | Autorisée si facilement ouvrable (chaîne, loquet) et remise en place automatique (ressort, poids). | Si dispositif complexe → entrave. |
Clôture grillagée + portillon | Portillon accessible à tout moment, largeur suffisante (piétons, matériel léger). | Portillon cadenassé → violation art. 701. |
Clôture électrique | Possible si double isolation, signalisation, système de coupure ou gaine isolante sur l’emprise du passage. | Absence de coupe‑circuit → responsabilité délictuelle. |
Source : Doctrine notariale, Répertoire Defrénois “Servitudes”, 2024.
5. Peut‑on déplacer l’emprise ?
Oui, sous conditions très strictes (article 701 al. 2) :
- Principe : Le propriétaire servient peut proposer un tracé de remplacement sans diminuer la commodité pour le dominant.
- Accord amiable recommandé (avenant notarié).
- À défaut d’accord : saisine du tribunal judiciaire (Cass. 3ᵉ civ., 19 déc. 2019, n° 18‑23.714).
6. Qui supporte les frais ?
- Frais de clôture : intégralement à la charge du fonds servient (art. 647).
- Entretien courant : idem, sauf stipulation contraire.
- Entretien du passage : revient en principe au fonds dominant (art. 698), sauf clause contraire ou usage local.
7. Responsabilités et sanctions
- Action en suppression d’ouvrage : si le portail/clôture empêche l’exercice → demande de démolition + astreinte (Cass. 3ᵉ civ., 5 déc. 2019, n° 18‑24.289).
- Trouble anormal de voisinage : dommages‑intérêts si le dominant subit un préjudice (délai, coût, danger).
- Voie de fait : clôture violente ou menaces → possible voie pénale.
8. Bonnes pratiques recommandées par le Cabinet DK
- Diagnostic préalable : localiser l’assiette exacte (plan cadastral, acte notarié, bornage).
- Étude d’impact fonctionnel : largeur nécessaire, gabarit engins, fréquence de passage.
- Choix d’un dispositif proportionné : portail autoportant pour engins agricoles, portillon piéton, barrière basculante…
- Rédaction d’un avenant : préciser mode d’ouverture, entretien, responsabilité (notaire).
- Remise des accès : clés, badges, codes → tous les ayants droit.
- Suivi et maintenance : test trimestriel, graissage, batteries.
- Dialogue constant : prévenir les modifications d’usage (passage de chevaux, tracteurs plus larges…).
9. Conclusion
Clôturer son terrain malgré un droit de passage est parfaitement possible à condition de garantir un accès non dégradé au fonds dominant. La combinaison du droit de propriété (art. 647 C. civ.) et de la protection des servitudes (art. 701‑702 C. civ.) impose une solution équilibrée : clôture oui, entrave non.
Le Cabinet DK, expert agricole et foncier, accompagne propriétaires et bénéficiaires dans l’audit, la négociation et la sécurisation juridique de leurs servitudes.
Références : Code civil, art. 637, 647, 682, 686, 698, 701, 702 ; Cass. 3ᵉ civ., 6 déc. 2005 ; 20 mai 2009 ; 9 juin 2021 ; 5 déc. 2019 ; 19 déc. 2019.